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Les hommes face à l'informatique

L'HOMO INFORMATICUS

L'“homo informaticus” existe. Je l'ai rencontré. Peut-être d'ailleurs en suis-je un aussi moi-même, sans m'en apercevoir.

Homme informatisé?

Homme informaticien?

Homme informatique?

Il est tout cela à la fois. C'est un espèce de centaure des temps modernes, qui vit avec l'informatique au bout des doigts et dans sa tête. Autour de lui, c'est plein d'appareils informatiques: à son travail, à son domicile, dans tous les endroits, il y en a jusque dans sa chambre à coucher et il est capable de leur consacrer des nuits entières.

Il passe un temps inavouable tripoter le clavier de ses étranges machines. S'il a une famille, il la délaisse complètement. Plus rien d'autre ne l'intéresse.

Il est plus souvent un homme qu'une femme. Son âge est très variable: enfant, adulte, retraité. Son entourage le considère alternativement comme un génie ou comme un fou.

Son savoir en informatique ne résulte pas d'un apprentissage l'école, ou dans l'entreprise. C'est une approche autodidacte, à partir de la lecture des manuels (s'il le faut, il a acquis quelques rudiments mal digérés de langue anglaise), des revues, et de l'épluchage minutieux des logiciels qu'il a pu se procurer. Fondamentalement, il parle BASIC, mais il n'hésite pas à plonger dans le langage binaire, puis dans des langages un peu plus évolués, tels le FORTH, mais il conservera pour toute sa vie cet esprit de “bidouille”, cette capacité inépuisable de réinventer la roue informatique. Il déteste les logiciels tout faits, parce qu'il n'y a plus rien à découvrir, à bricoler, ou à “améliorer”, selon sa propre expression.

Au travail (quand sa passion ne le lui a pas fait perdre), il se moque de ses collègues restés dans la préhistoire informatique. Il ne redoute pas le ridicule d'apporter son Apple II au bureau pour montrer qu'on fait mieux avec qu'en attendant un hypothétique service de l'informatique centrale. Malgré l'évidence de ses démonstrations, il ne parvient pas à convaincre ses collègues de travail, qui trouvent que les manipulations sont trop compliquées et qui continuent de préférer leurs méthodes traditionnelles.

En fait, une communication trop exclusive avec sa machine l'a privé d'un vrai contact avec les autres êtres. Ses seuls contacts humains se résument à des échanges techniques avec d'autres individus animés de la même passion, et encore, à condition qu'ils aient choisi le même type de machine: il y a le club Apple, le club Commodore, etc … On retrouve des phénomènes comparables à ce qui est arrivé aux radio-amateurs, ou plus récemment aux cibistes, aux messageries d'informaticiens.Ces gens ont à leur disposition un merveilleux outil de communication, mais ils ne l'emploient qu'à des échanges techniques relatifs à l'objet même de leur passion.

Arrivés à ce stade de l'analyse, on penserait que l'homo informaticus est une espèce marginale, droguée, inféconde, et donc condamnée.

Nous proposons une autre analyse, celle qui consisterait à considérer plutôt le phénomène comme un précurseur d'un nouveau type de civilisation.

L'automobile augmente la capacité de l'homme de se déplacer. Le téléphone augmente la capacité de l'homme de communiquer. L'ordinateur augmente la capacité de l'homme de raisonner et de gérer les informations.

Dès lors, l'homme informatisé que nous venons de caricaturer serait plutôt comparable à l'automobiliste de jadis qui, avec ses grosses lunettes et son énorme écharpe, traversait en pétaradant nos villages au grand dam des habitants: il préfigurait, sans le savoir, un grand bouleversement technologique.

Un signe: le “fou d'Apple”, qui a inspiré notre portrait cherche aujourd'hui à vendre son vieil Apple II pour acheter à la place… un Macintosh!

L'INFORMATICIEN "MAISON"

Contrairement à l'espèce précédente, qui obéit à une logique spontanée, l'informatique “maison” est une création de la hiérarchie.

Pauvre patron, que de soucis l'attendent avec l'informatique!

Même si ce ne devrait pas être, en bonne logique, la question primordiale, un premier problème angoissant se pose: quel matériel acheter?

En fait, c'est par là que vous allez être obligé de commencer. En effet, tant que vous n'avez aucun matériel, vous vous trouvez dans la situation d'une jeune fille arrive à l'âge de se marier et qui vit encore seule: vous êtes poursuivi par les assiduités des constructeurs. L'assaut est si vif que vous êtes bien obligé, ne serait-ce que pour n'être plus enfin importuné ou ne pas paraître retardataire, de faire comme tous vos semblables et donc de succomber aux avances de l'un d'entre eux. Vous ne savez pas quel matériel choisir? Aucune importance, le constructeur lui, le sait déjà: il vous faut ce qu'il y a de mieux, et c'est justement ce qu'il tait en train de vous proposer!

Loin d'être débarrassé du problème, vos ennuis ne font que commencer. Votre matériel est là, et le constructeur, rassasié, vous laisse seul avec. A vous maintenant de justifier votre coûteuse acquisition en faisant au moins semblant de la faire fonctionner.

C'est alors que le patron n'ayant pas le temps de s'informatiser lui-même, est obligé de s'entourer d'“hommes de l'art”.

Première solution: former le personnel à l'informatique. Les propositions abondent, mais comment choisir la bonne? Elles sont souvent “bidon” ou à côté du problème. Qui envoyer en stage? Que leur apprendre: initiation au BASIC, aux langages de programmation, aux logiciels intégrés? Faute de décision, ces choix initiaux, pourtant fondamentaux, sont généralement abandonnés au hasard: volontariat du personnel (qui ne va pas manquer de priver à terme l'entreprise d'éléments de valeur qui étaient donc précieux à leur ancien poste de travail), choix de formation au petit bonheur, au hasard des lectures de revues plus ou moins spécialisées, aux conseils de collègues (qui pourtant sont mêmes dans la même situation). On voit que cette première solution a bien peu de chances de conduire à une équipe informatique compétente, et, fait grave, cette incompétence ne se révélera que très tard, voire jamais, puisque par hypothèse, il n'y a pas à l'intérieur de l'entreprise, une vraie compétence capable de s'en apercevoir.

Deuxième solution: recourir à des informaticiens extérieurs. Nous les appellerons INFORMATICIENS DE HAUT NIVEAU, sans doute pour les distinguer des précédents. Recrutés par des chasseurs de têtes (compétents en informatique?), pays à prix d'or, ils arrivent en terrain conquis, avant même que d'avoir compris, les réalités et la culture de l'entreprise qui les accueille, qu'ils risquent de ne jamais comprendre d'ailleurs tant est grande la frustration des informaticiens “indigènes”. Peu leur importe, ils sont là pour construire une grande informatique, LEUR informatique, et ne tarderont pas, à force d'étendre leur pouvoir, devenir un Etat dans l'état au sein de l'entreprise.

On accède à eux à travers un espèce de guichet (ils sont dans des locaux à part, climatisés). On rivalise de bassesses dans l'espoir d'obtenir d'eux prioritairement les services dont on a besoin, et qu'ils ont su rendre irremplaçables.

Obtenir d'eux un modeste conseil technique en informatique relève de l'exploit. Ils traitent le non-informaticien avec condescendance et excellent dans l'art d'expliquer au patron que le service qu'on leur demande est justement techniquement impossible.

La micro-informatique spontanée s'est en partie développée en réaction à leur attitude. Hier, ils l'ont ignorée et méprisée. Aujourd'hui, ils comprennent qu'elle va les rendre inutiles. Une seule issue pour eux: s'adapter à l'évolution ou mourir.

LES NOUVEAUX INFORMATICIENS

Face à la fois à l'évolution technologique et la maturation des utilisateurs face à l'informatique, on sent poindre aujourd'hui une nouvelle race d'informaticiens, que l'on pourrait appeler les “assistants informatiques”, et que nous allons essayer de caractériser:

  • Il ne sait pas grand-chose de précis en informatique. Son savoir se périme au fur et mesure qu'il est acquis, et il ne cesse de courir après l'évolution des technologies et des applications: congrès, colloques, expositions, annonces des constructeurs, lecture de multiples revues. En fait, il consacre plus de la moitié de son temps à essayer de se tenir au courant.
  • L'autre moitié de son temps, il la consacre à expliquer aux autres, à l'intérieur de l'entreprise, ce qu'il a pu apprendre et qui pourrait être utile à ces derniers. En fait, l'informatique n'est pas sa compétence principale, car il a une double compétence: le métier de l'entreprise d'abord, l'informatique ensuite.
  • Dans son comportement, il est modeste et serviable. Il est toujours là quand on est dans l'embarras, face à des matériels et des logiciels de plus en plus complexes. Souvent, il ne sait pas, mais il cherche à se renseigner. Il n'hésite pas à plonger dans d'énormes documentations, à ouvrir les couvercles, à sortir son tournevis et son fer à souder.
  • Il n'écrit pratiquement plus de programmes au sens classique du terme. Par contre, il enseigne aux autres l'art de programmer dans des langages informatiques évolués, qui tendent de plus en plus à ressembler au langage naturel.

D'où vient-il, ce nouvel informaticien?

Nous suggérons trois profils-types, volontairement contrastés:

  • Un jeune mordu d'informatique qui a mûri. Autodidacte, mais ouvert sur les problèmes d'autrui.
  • Un ingénieur de grande école, option informatique, qui par le hasard de la vie, a eu l'occasion de connaître et aimer un autre métier, qu'il va aider à évoluer.
  • Un ancien informaticien “maison” repenti

LES NOUVEAUX USAGERS DE L'INFORMATIQUE

L'évolution que nous venons de décrire aboutit à supprimer la séparation abrupte qui a existé jusqu'à nos jours entre informaticiens et non-informaticiens.

La culture informatique se diffuse, grâce à la micro-informatique d'abord, mais aussi grâce au développement des serveurs et des services télématiques qui lui sont associés.

Dès lors, l'informaticien apparaît davantage comme une ressource de “deuxième niveau”, par rapport à des usagers qui ont acquis une maîtrise suffisante d'outils devenus parallèlement plus faciles à manier.

Chacun peut désormais conduire un ordinateur comme il sait conduire une automobile. Les informaticiens deviennent l'équivalent des chauffeurs de poids lourds, des conducteurs d'engins de transport en commun, ou, quand c'est nécessaire, des mécaniciens-réparateurs.

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start/other/texts/hommes_face_informatique.txt · Last modified: 2016/09/09 19:10 by admin_wiki